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Sortir de ma zone de confort Mon expérience «zéro déchet»
Par Laila Gutknecht
«Zéro déchet» c’est le nom du mouvement dont l’objectif est de vivre en produisant un minimum de déchets. Sur les réseaux sociaux, j’ai vu des gens au visage radieux présenter un bocal rempli de leurs déchets d’une année entière. Pour être très honnête, les images m’ont refroidie. Mon préjugé? «Zéro déchet» c’est chronophage, trop compliqué et implique trop de renoncements. Je décrirais mon style de vie comme moyennement durable. En tant que végétarienne qui ne conduit pas, je suis sensibilisée au sujet. J’utilise des thermos et des bouteilles en verre, possède un abonnement de recyclage et trie également le papier, le carton et les déchets verts. Pourtant, notre ménage composé de deux adultes et de deux chats produit environ un sac à ordures de 35 litres par semaine. D’où proviennent donc ces déchets au juste? Et existe-t-il des méthodes simples et pratiques pour réduire cette quantité?
Repenser et renoncer
Je ne suis pas très à l’aise quand Tara commence à fouiller dans mon sac. Nous trions ensemble les déchets selon les catégories «Évitable» et «Inévitable». Nous séparons ensuite le monticule «Évitable» en «Repenser» et «Renoncer». Le tas des déchets inévitables comprend notamment des emballages de nourriture pour chats, l’emballage en plastique du papier-toilette, un tube de mayonnaise et un gant orphelin.
«Pratiquement tout peut être remplacé. Il faut pour cela changer ses habitudes et ça peut être éprouvant au début», m’explique Tara. Elle me montre du shampooing en barre, du fil dentaire compostable, du papier ciré, des cotons-tiges en bois. Elle attire par ailleurs mon attention sur divers aliments et produits ménagers disponibles en vrac, par exemple le riz, le liquide vaisselle ou les noix. Elle plaide pour qu’on fabrique plus de choses soi-même plutôt que d’acheter, qu’on réutilise ou donne les objets qu’on n’utilise plus. Néanmoins, même si beaucoup de choses peuvent être remplacées, il reste une grande part de renoncement. Elle prend en main quelques-uns de mes déchets et m’explique, presque avec nostalgie, qu’elle aimait et les consommait aussi sans réfléchir par le passé. Aujourd’hui, c’est impensable; car le chocolat contient de l’huile de palme, le fromage frais est emballé dans du plastique et les bonbons dans une boîte en aluminium.
Le cycle des ressources
Le cycle des ressources est primordial pour Tara: la Suisse possède certes un système d’incinération des déchets sophistiqué, il reste pourtant toujours des substances toxiques impossibles à incinérer. C’est aussi une question d’éthique pour elle: «Ce qui est brûlé a simplement disparu. Rien de nouveau ne peut en être extrait.» Tara trouve aussi que le recyclage pose problème: «Tu te sens peut-être bien, mais tu te délestes de la responsabilité.» Peu de consommateurs et de consommatrices savent ce qui peut réellement être recyclé. «Nous n’associons pas notre propre comportement aux problèmes de ce monde», explique Tara. Avec ces paroles en tête et quelques produits alternatifs dans le cabas, je quitte le magasin, prête à entamer la deuxième phase de mon expérience.
Le strict minimum
Cette période est marquée par des moments de perplexité; mais m’apporte aussi beaucoup de bonnes surprises. En regardant mes déchets, on constate que j’ai réussi à les réduire au minimum. Une constante, la nourriture pour chat classée «Inévitable» par Tara. «Avoir des animaux domestiques, c’est une décision», a-t-elle affirmé. «Exactement comme avoir des enfants. Cela génère automatiquement plus de déchets.» Durant mon expérience, j’ai fait mes courses dans des magasins de marchandises en vrac, beaucoup fait moi-même et réutilisé de nombreux objets. J’ai aussi renoncé à bien des choses et mangé quelques fois à l’extérieur, parce que je n’avais pas le temps, pas assez d’énergie et pas suffisamment d’idées pour cuisiner à la maison. À la fin de la semaine, j’en viens à cette conclusion: «zéro déchet» et spontanéité ne font pas bon ménage. Il faut beaucoup prévoir. J’ai par exemple dû commencer par m’habituer à toujours emporter ma propre vaisselle.
Un douloureux renoncement
Le plus dur a été de renoncer à certaines choses. Dans la filiale de l’enseigne de grande distribution où nous faisons nos courses ne propose pas les aliments tels que le fromage à la coupe. Les produits de substitution que j’apprécie de temps en temps en tant que végétarienne n’existent pas sans emballage, le lait végétal seulement en brique. Renoncer à ces aliments est plus douloureux que je veux bien l’admettre. Un jour, j’ai acheté du chocolat équitable et sans emballage pour lequel j’ai payé une petite fortune. Certes, mais je l’ai dégusté en pleine conscience et avec un plaisir décuplé. L’avenir dira si je parviens à intégrer les principes «zéro déchet» dans mon quotidien ou si l’amour pour mon chocolat de supermarché préféré fera pencher la balance. S’agissant des aliments de base que je conservais déjà dans des contenants en verre avant l’expérience, c’est différent. Je m’engage dorénavant à les remplir chaque mois en faisant mes courses dans le magasin de marchandises en vrac. Il en va de même pour les aliments qui se conservent longtemps, tels que les épices ou le thé, mais également pour les produits ménagers, tels que la lessive ou le liquide vaisselle. Leurs prix sont un peu plus chers, mais j’y tiens.
Responsabilité partagée
Après toutes ces expériences, je dois malgré tout l’admettre: j’ai été soulagée à la fin de la semaine. Le fait de tout prévoir à l’avance m’est apparu comme très éprouvant et contraignant. J’ai eu parfois le sentiment de ne plus rien pouvoir faire comme d’habitude. Je demande à Tara comment elle parvient à rester aussi optimiste. Sa réponse: «Je ne porte pas seule la responsabilité du monde sur mes épaules. Je fais simplement du mieux que je peux dans mon monde.» Cette idée me remonte le moral. J’ai acquis la certitude qu’il en va de notre production de déchets comme des autres problèmes sociaux: il est plus efficace que beaucoup de gens réduisent leurs déchets sans viser la perfection absolue que seule une poignée de personnes le fasse de façon irréprochable.
Tara ne considère pas le renoncement comme un manque, mais comme un processus créatif. Cela va vraisemblablement prendre encore un peu de temps avant que j’en arrive au même constat. En fin de compte, je reste sur une impression positive. Après cette semaine, je ne vais pas passer au «zéro déchet». J’ai toutefois beaucoup appris et découvert des choses qui fonctionnent bien pour moi et réduisent nettement mes déchets. Les petits pas aussi sont des pas dans la bonne direction.
Tara Welschinger
La conversion de Tara au «zéro déchet» débute en 2015 lors d’un voyage en Asie du Sud-Est. Elle est alors choquée de l’omniprésence des déchets et des immenses feux pour extraire l’huile de palme. Elle commence à faire des recherches, à remettre en question sa consommation et à la réduire; en l’espace de quelques mois, elle reconfigure entièrement sa vie. Elle souhaite désormais aider les autres à se défaire de leurs préjugés et à découvrir des alternatives. Avec ses magasins de marchandises en vrac «Foifi» et «Zollfrei», elle a créé des lieux tout-en-un: durables, équitables, bio et sans plastique. Ils sont des espaces de rencontre dans lesquels les gens peuvent échanger sur les questions de durabilité et trouver l’inspiration pour vivre avec moins de ressources.